Libraires francophones. Le jour d’après, maintenant ou jamais.

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L'AILF s'est exprimée hier à travers une tribune publiée dans Livres Hebdo

Cette crise exceptionnelle que nous vivons aura au moins été un bon révélateur.
D’abord, de la réalité d’une chaîne du livre comme écosystème : pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre qu’une librairie à l’arrêt, c’est un diffuseur, puis un éditeur, puis un auteur qui s’arrêtent. Sans oublier les métiers intermédiaires que sont les graphistes, les imprimeurs, les illustrateurs etc.

La seconde réalité c’est la capacité du secteur et des pouvoirs publics à réagir et à proposer des mesures d’aide et d’accompagnement. La librairie a été particulièrement présente dans les débats, d’abord par ses prises de parole et la mobilisation des lecteurs, ensuite par les aides diverses qui lui ont été apportées en France, par le Ministère de la Culture via le CNL, par l’ADELC, ou par les autres mesures sociales ou de soutien économique apportées par l’Etat. Et enfin, ce qui a été démontré, c’est l’importance, et pas seulement symbolique, que nos sociétés accordent à la culture et ses acteurs.
A cela, j’ajouterais volontiers l’épiphénomène du discours omniprésent sur « le jour d’après ».

Or, pour certains, le jour d’après c’est maintenant ou jamais.

Car tout ce que nous décrivons ici, c’est à Paris et sa périphérie que ça se passe, et ça ne se retrouve pas partout où le livre en français est présent. Il existe un réseau, planétaire osons le mot, qui porte les mêmes valeurs, qui est même essentiel pour les représenter, il en est souvent la première porte d’entrée. C’est le réseau des librairies francophones dans le monde. Un réseau qui subit aujourd’hui un vrai cataclysme, et qui ne bénéficie évidemment pas des atouts dont disposent les librairies dans les pays francophones du Nord. A l’exception notable et remarquée du soutien apporté par le CNL au moyen d’une enveloppe de 500K Euros, soit 10% de l’enveloppe dégagée rapidement par le MCC en faveur du livre. C’est conséquent, tant en termes financiers que symboliques, et nous en sommes reconnaissants. Le CNL doit maintenant répartir cette somme entre une centaine de librairies, leur permettant d’amortir quelque peu le premier choc du confinement et des fermetures, en leur apportant de la trésorerie déstinée à couvrir entre autres les premières urgences.

Mais au-delà, c’est souvent un silence assourdissant qu’on entend.
Or on sait que cela ne suffira pas à les sauver toutes. A quelques exceptions près, la plupart des librairies ne bénéficient pas d’autres aides économiques ou sociales, de reports de crédits bancaires, de possibilités de prêts. Nada, rien. Rien pour couvrir les salaires et les frais fixes. En France, le SLF estime à un mois ou deux les réserves de trésorerie des librairies. Que dire alors des librairies dans les pays d’Europe non francophone, d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie, du monde arabe, de la zone Océan indien ?

La question se pose : tient-on à sauver ce réseau, lui accorde-t-on une importance commerciale et culturelle, ou attend-on simplement que les plus forts s’en sortent tout seuls, ce qui pour certains serait tellement plus confortable ?

Alors, à défaut d’aides directes, on peut avoir des idées.
-Une manière simple de réinjecter de l’activité et de la trésorerie dans le circuit, c’est l’achat en librairie. Pas seulement du lecteur final pour lequel on pourrait imaginer des chèques-cadeaux, mais surtout de ceux qui disposent de budgets pour le faire. Il existe un peu partout un réseau d’institutions, médiathèques, bibliothèques, Instituts français, Alliances françaises, Lycées français, de façon générale les acteurs du réseau culturel français, ou encore d’écoles, centrales d’achats, que sais-je ?, qui ont besoin de livres, et qui ont les budgets. Quelle que soit la formule, ce qui importe c’est de ramener de la trésorerie en librairie, qui percolera dans toute la chaîne, vers les éditeurs, vers les auteurs. On peut appeler cela « relance par la consommation » ou « ruissellement par le bas », selon ses opinions.
Peut-on en parler ?

-C’est une question de responsabilité collective finalement. Comme doit l’être aussi celle des éditeurs et diffuseurs. On sait qu’un report d’échéances de 60 jours, sans activité normale durant le confinement et les semaines qui suivront, ce n’est faire que reporter le couperet. Nous avons demandé au moins 90 jours, la réponse est « au cas par cas » : normal sans doute, mais on ne fera pas l’économie de nécessaires plans d’apurement sur des durées plus étalées, et de négociations avec les assureurs. Comme il serait opportun de faciliter l’accès à cet outil de gestion dont disposent les libraires du nord : des facultés de retour élargies, et sur couvertures dans ce cas-ci, vu les coûts de transport.
Peut-on en parler ?

-On les connaît, ces coûts de transport lorsque les libraires importent des livres depuis la France, les obligeant à pratiquer des prix de vente sans rapport très souvent avec les pouvoirs d’achat locaux. Faut-il donc continuer à leur imposer des pieds de facture ou des prix export sans détaxe ? C’est vrai pour la littérature, valeur forte de l’édition française. C’est d’autant plus vrai encore en matière de livres scolaires qui représentent des marchés très importants pour certains groupes français. Marchés captifs, dira-t-on, mais outre qu’ils pèsent d’un poids réel dans l’économie des librairies, il y a une urgence absolue à s’en préoccuper : pour la plupart de nos libraires, la rentrée scolaire c’est demain, et c’est aujourd’hui qu’il faut assurer les commandes et programmer les approvisionnements.
Peut-on en parler ?

La liste n’est pas close. Tout ce que nous évoquons dans cette tribune l’a déjà été avant la crise du Covid. Nous demandons de manière répétée que puisse avoir lieu une réelle concertation interprofessionnelle sur la librairie francophone à l’étranger, avec la médiation des pouvoirs publics, qui y sont favorables. Nous avons vu avec satisfaction la proposition d’Antoine Gallimard au niveau de l’interprofession en France. Les libraires francophones demandent la même chose.
Notons aussi que nos idées et demandes sont en phase avec ce que les Etats généraux du livre en français portent comme objectifs.

Dans une crise de l’ampleur de celle que nous connaissons, cette responsabilité collective rappelée ici est seule garante du non effondrement d’un réseau essentiel pour les valeurs que nous défendons et qui, selon les territoires, offrent des modèles de librairie diversifiés, qui font la richesse de notre métier.

Le monde d’après, c’est maintenant, ou jamais. Et c’est urgent !

Philippe Goffe
Président de l’AILF


 

 
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