Association Internationale des Libraires Francophones

Georges Saïd, chevalier des Arts et Lettres

Georges Said, libraire en Syrie, vient d'être décoré chevalier des Arts et Lettres au Centre national du Livre le dimanche 22 mars 2015 par Geneviève Brisac, écrivain et éditeur.

Un moment d'émotion que nous  partageons avec vous puisque Georges Said a bien voulu nous confier le discours qu'il a tenu lors de cette décoration.

ci-dessous : Georges Saïd entouré de ses proches, à l'occasion de cette décoration.

Decoration Georges

Mesdames, Messieurs,

C'est avec un grand honneur que je reçois aujourd'hui les insignes de Chevalier dans l'Ordre des Arts et des Lettres.

Toute ma gratitude s'adresse à Madame la Ministre de la culture et de la communication pour sa bienveillance.

Je remercie Madame Geneviève Brisac de m'avoir honoré de sa présence et d'avoir accepté de me remettre cette distinction.

Je remercie Monsieur Vincent Monadé, Président du Centre National du Livre, d'avoir proposé de me décerner cette décoration.

Je suis convaincu que chaque fois qu'un libraire est honoré, ce sont tous les libraires à travers lui qui sont appréciés pour leur action dans le vaste champ de la culture.

Si je devais résumer le travail d'un libraire en trois mots, je dirais : Passion, Mission, Profession.

La Passion est la première qualité d'un libraire. D'ailleurs, sans cette passion, on ne peut réussir dans sa carrière. Cette passion du livre et de la librairie, je la dois à mon père, Nasrat Said, fondateur en 1960 de notre librairie et maison d'édition familiale. Professeur de français et de traduction, il n'avait que l'amour du livre et de la culture française comme bagages pour s'engager dans cette aventure. Je rends hommage à sa mémoire et lui dédie cette distinction.

Mon épouse, Nouha, a bien accepté que j'aie une deuxième passion dans ma vie. Elle m'a soutenu et aidé même à l'animer et à la développer par sa contribution délicate. Je lui offre donc cette décoration ainsi qu'à mes trois enfants qui, chacun à sa façon, apportait sa petite pierre dans la construction de l'édifice.

Mes frères et soeurs (Nous sommes sept) ont hérité également de cette passion. Deux d'entre eux, Karam et Fabienne, ont même effectué à la Sorbonne de hautes études en linguistique comparée. Tous ont contribué, chacun selon sa disponibilité, au développement de la librairie, et c'est grâce à eux que la librairie existe toujours. Je leur dédie donc cet honneur.

Une librairie a toujours une mission. C'est la raison de son existence et de son appartenance au réseau de la culture. J'ai senti le poids de cette mission tout au long de ma carrière, et plus que jamais au cours de ces quatre dernières années de guerre en Syrie.

Ma mère qui fut pendant longtemps la propriétaire de la librairie, n'a jamais demandé de détails concernant son état économique. En revanche, son seul souci était de la maintenir vivante car elle représentait pour elle un héritage, un patrimoine, je dirais même une mission sacrée. A elle aussi, je dédie cet honneur.

Malgré l'insécurité et les pertes financières que la librairie endure actuellement à cause des troubles multiples qui déchirent la Syrie, j'ai choisi de maintenir cette présence culturelle. Pour moi, ce n'est plus un projet commercial à gérer mais plutôt une action humanitaire. Je vois dans la librairie ouverte une bougie qui pourrait par sa douce lueur fragile combattre l'obscurantisme de la guerre. Les habitants qui n'ont pas pu quitter Alep me priaient de conserver cette présence en disant : "tant qu'une librairie existe toujours, nous nous sentons soutenus et nous pouvons avoir une certaine espérance en l'avenir de nos enfants".

En effet, la culture française, le livre français et la France sont restés pour la plupart des syriens une source pour laquelle ils ont un attachement profond. La présence d'une librairie française demeure indispensable afin de maintenir ce lien ancien. Je salue à cette occasion mes salariés qui sont restés fidèles à leur devoir et continuent malgré tout à servir avec dévouement et zèle.

Enfin, gérer une librairie est une profession. Elle exige des études académiques, un savoir-faire et une formation continue. Il n'est plus possible aujourd'hui d'apprendre uniquement sur le tas, comme c'était le cas de la majorité des libraires au siècle dernier.

Heureusement que des sessions de formations et des séminaires professionnels sont organisés pour combler cette lacune. J'ai pu suivre plusieurs de ces formations et j'en ai tiré un grand avantage. Je profite de cette occasion pour rendre hommage à toutes les personnes et les organismes qui œuvrent pour la préparation de ces formations.

Il faudrait signaler tout particulièrement le Centre National du Livre et la Centrale de l'Edition qui gèrent les subventions à la diversification du fonds d'ouvrages français. Ils ont contribué sensiblement depuis 1997 au développement de mes deux librairies et à la réussite de mon projet culturel. Je leur adresse à travers leurs directeurs Monsieur Vincent Monadé et Monsieur Olivier Aristide toute ma reconnaissance.

Je remercie également les éditeurs, distributeurs et diffuseurs qui étaient toujours attentifs à mes sollicitations, et me soutiennent toujours malgré ces trois dernières années écoulées sans aucune activité commerciale.

Bien évidemment, je remercie la France qui m'a si bien soutenu, si bien accueilli, si bien entouré et m'a honoré de cette distinction qui restera pour toujours le signe de la reconnaissance d'une grande nation.